יום שישי, 14 במרץ 2008

Sidi Lahcen Lyoussi

Sidi Lahcen Lyoussi

Par: Gabriel Bensimhon


Son visage était continuellement souriant, et son corps constamment en mouvement. Où peut on le rencontrer si ce n’est au restaurant? Lorsque je suis entré, il était déjà installé avec des amis, un grand plat de couscous était placé devant eux. Ils mangeaient, buvaient, riaient, et levaient leurs verres à ma santé, j’ai donc aussi levé mon verre à la leur santé et nous avons échangé quelques mots affectifs. Lorsque je suis rentré à l’hôtel Sidi Lahcen Lyoussi, l’unique du village, il se trouvait qu’il y logeait aussi. Bien entendu, une amitié s’est créée entre nous, amitié qui s’intensifia de jour en jour. Il s’avérait que Jean était arrivé de Paris à Sefrou par amour pour une fille du village, une histoire d’amour exceptionnelle puisqu’il était tombé amoureux d’elle par cassette vidéo. Un jour, alors qu’il était assis chez des travailleurs arabes avec lesquelles il avait lié connaissance, il mangea un couscous, visionna la cassette vidéo d’un mariage de leur village. Dans le film de nombreux invités tournaient, habillés de tissus d’Atlas brodé, buvant, dansant et chantant, et parmi eux, Aicha, une jeune fille qui dansait la danse du ventre pour le bonheur des mariés. Du moment où son regard s’est posé sur elle, ses yeux et sa bouche se sont ouverts dans un grand émoi. Alors qu’on lui demandait ce qui lui arrivait, il répondit: c’est la femme de mes rêves, c’est elle que j’ai cherchée toute ma vie, ils arretèrent l’image afin de lui permettre de s’imprégner de ses yeux noirs, du charme de son rire, de ses lèvres fraîches, puis à chaque fois qu’elle apparaissait , ils firent défiler le film en avant et en arrière afin qu’il puisse s’absorber de l’innocence qu’elle dégageait à des milliers de kilomètres.
Il était assis depuis une bonne heure et me décrivait avec un sourire son expérience amoureuse. Les plus belles actrices ayant défilé sur ce même écran ne lui avaient jamais procurré le même effet que cette jeune fille innocente lors de ce mariage marocain sur vidéo dans un petit village éloigné et perdu au bout du monde.
Sur le champs il décida de monter dans le premier avion en direction de ce village éloigné afin de demander sa main. Elle était encore plus merveilleuse en vrai. Les gouttes de sueurs sur son cou prouvèrent qu’elle était réelle, son corps projetait la chaleur et la vie. Aussi il resta indifférent lorsqu’il compris qu’elle parlait pas un mots de français, trop imprégné de sa simplicité, sa noblesse et cette sagesse villageoise et limpide.
Lala Zohra et sa fille Aïcha écoutaient son histoire et riaient. Que peut on dire à un homme qui attérrit dans une ville perdu au bout du monde et qui vous dit qu’il est tombé amoureux de votre fille par cassette vidéo? Si elle l’avait vu en vidéo, je doute qu’elle ne se soit intéressé à lui. Grassouillé, rondouillard, petit, avec des lunettes à monture noire, portant toujours des chaussures de sport et un tee shirt, agé de quarante ans et pouvant être son père, il est pourtant le rêve de toutes les filles, de cette région dans laquelle on entend encore le hénissement des ânes, le chant des coqs et, dans l’unique café, proche de la cascade, la voix intrigante du poste de télévision, relié à une vieille batterie; télévision sur laquelle on voit de temps à autres l’étoile lointaine et riche, qui n’est accessible qu’aux autres, et que l’on a aucune chance d’atteindre. Et voici pourtant qu’il lui offre cette étoile sans condition. La mère ne pouvait le repousser sur le moment. La fille apparemment ne pouvait dire oui.
C’est ainsi qu’il devint l’invité permanent de l’hôtel Sidi Lahcen Lyoussi, placé au bas de la tombe du Saint portant le même nom, dans un village n’étant pas traversé par l’itinéraire touristique, et si l’on s’y trompe et y arrive, on n’y reste pas plus d’un jour. Il est installé ici depuis près de deux mois. Tous sont ses amis. Tous attendent avec impatience comme lui la décision de la famille et de la jeune fille. Ils s’identifient à son amour, sourient à son innocence, son entêtement enfantin. Tous les jours il rend visite à la mère et sa fille dans la cabane, leur apporte des présents, des habits, des bijoux en or ou en argent, emmène en promenade en Land Rover la mère et la fille accompagnées de leurs amis et des amis de leurs amis. Ils sont déjà allés jusqu’à Dar Bouful, Moulay Idriss, Ain Sebou, Ain Leuh, Azrou, et Ifran.
Elles sont génées de recevoir tous ces présents et toutes ces attentions sans lui donner de réponse positive, mais la fille ne peut absolument pas dire oui. Il est gentil, bon et se conduit envers elle comme un père aimant, charmant et tendre, mais lorsqu’il essait de la toucher, elle est réticente, il pense que cela lui passera, c’est à cause de la honte, une question de tradition, et il espère que le mariage passera au travers de ces obstacles. Il est sur le point de régler les papiers au consulat de la ville la plus proche afin qu’ils reconnaissent le mariage et procurent la nationalité française à la mère et la fille. Le consulat pose des problèmes, ils ralentissent l’octroiement des certificats. Lorsqu’il insista et qu’il réclama ses droits, la consule fit sortir la mère et la fille dans le couloir, lui parla entre quatre yeux et lui dit que ce mariage était impossible, et sans avenir. Que ferait la fille dans une ville étrangère? Avec qui parlera t-elle? Et qui lui parlera? Et avec qui parlera t-il après leur folle nuit de noce? Elle ne pourra même pas écouter la radio, ou regarder la télévision, Vous vous insérez dans ma vie privée, et je vous demande de respecter la loi ainsi que mes droits. Au bout du compte, après de nombreux ajournements, la consule fut obligée de lui octroyer l’autorisation. Cependant la jeune fille hésitait encore, et lui, l’attendait, dans l’unique hôtel de la ville, lui, l’éternel invité depuis près de deux ans. Un jour la jeune fille dit oui, et le lendemain c’est non. Il pensa qu’elle ne voulait peut être pas quitter son village, c’est pourquoi il lui dit qu’il était prêt à s’installer ici pour toujours.
Lorsque je suis arrivé à Sefrou, nous étions les seuls invités de cet unique hôtel du village, lui, venant de Paris afin de trouver l’amour de sa vie, et moi, venant de Jérusalem, en pélerinage sur la tombe de mon père. Tous croyaient que j’étais venu trouver le grand amour, qui sait? Pourquoi pas? Plus d’une fois j’ai pensé tout laisser et revenir ici, disparaître sans laisser de traces, pourtant au Mellah il ne reste plus rien de juif, ni synagogue, ni maison d’acceuil, mais mes pères et les pères de mes pères sont enterrés ici, et ma maison se trouve toujours au même endroit. Plusieurs fois j’ai été invité par la famille qui y habite. C’est un jeune couple avec trois petits enfants de l’age que nous avions lorsque nous avons quitté le Maroc. Parfois je pense à leur racheter la maison et retourner y habiter. De temps en temps ils m’invitent moi et Jean à manger un couscous. Un jour, il m’est arrivé quelque chose d’étrange. Lorsque je me suis reveillé chez eux, j’ai pris le cartable d’un des enfants, je l’ai mis sur mon dos, et je suis allé à mon école, je suis rentré dans ma classe, je me suis assis sur mon banc, au grand étonnement des enfants qui ne m’ont pas reconnu, jusqu’à ce que Jean entre et me demande de laisser la place à l’enfant qui attendait. Il me demanda de l’accompagner au café,
Notre histoire passa de l’hôtel, à l’agent de la circulation, en passant par la mosquée. On nous reconnaissait, aussi bien lorsque nous allions changer de l’argent à la petite banque, que lorsque nous arrétions un taxi, ou que nous montions dans le bus, et bien entendu lorsque nous étions nus avec la ville entière dans les vapeurs du hamam, tous voyaient que nous n’avions rien à cacher, les gens se regroupaient autour de nous, et cherchaient à converser avec nous, à nous consoler, nous soutenir, à s’identifier à nous, ou encore à nous souhaiter bonne chance. Le plus étrange était qu’un des associés de Jean dans son agence de biens immobiliers était venu le chercher afin de le ramener chez lui et tomba lui même amoureux d’une amie de son amour, se maria en une semaine et rentra avec elle à Paris.
Chez lui cela se passait avec indolence, non seulement la famille était en plein dilemne, mais le village aussi tout entier; il y avait enfin un sujet excitant sur lequel parler. Les jeunes filles s’identifiaient à Aïcha, les femmes adultes riaient de leur naïveté, les jeunes hommes aussi voulaient qu’elle reste ici, par contre les adultes étaient du côté de cet étranger qui lui proposait le rêve de tous, que pourrait elle recevoir d’un jeune de la région si ce n’est la pauvreté et la détresse? Que fera t-elle une fois l’amour passé? Comment nourrira t-elle ses enfants? D’un côté les adultes venaient le soir à l’hôtel et s’asseyaient des heures analysant la situation, le soutenant, lui disant de ne pas abandonner, de l’autre les jeunes manifestaient sous les fenêtres et lui chantaient les chansons contant l’amour des vieux pour les jeunes.
Plusieurs fois par jour des mariages défilaient sous nos fenêtres. C’est bien la ville des mariages non? Les cortèges ne cessaient de défiler. Toujour on entendait les chants et les danses, et si les cortèges passaient devant nous, nous pouvions voir la mariée cachée sous un dais que portaient les proches de la famille, les drapeaux qui flottaient autour, un orchestre de joueurs noirs animant la danse, jouant et chantant les chants de joie avec ses jeunes amies qui chantaient et dansaient avec un enthousiasme exalté.
Le mariage est l’apogée des aspirations des jeunes filles de ce village, le sommet de leurs rêves, celui auquel on aspire et que l’on prépare durant toutes ces années. On s’assoie et on brode les oreillers, les draps, les housses, on file, on tricote, on tisse on coud et lorsqu’arrive le grand jour, la ville entière se marie, c’est le mariage de tout le village, tout comme la naissance est la naissance de toute la ville. Dans ce village, un homme ne naît pas seul, ne vit pas seul et ne meurt pas seul. Les invités viennent de tout le pays, et même si la maison est trop petite, elle contient tout le monde, proches ou non, ils dorment sur des carpettes et des tapis, et avec les mariés sous les couvertures, couche la moitié de la ville.
Dernièrement, les habitudes du villages ont été modifiées, en offrant aux mariés une chambre à l’hôtel Sidi Lahcen Lyoussi pour leur premiere nuit d’union. Petit à petit les invités ont aussi commencé à louer leur chambres pour la nuit de noce. L’hôtel était entièrement occupé par les invités venus pour le mariage lors de ma première nuit à l’hôtel. Les gémissements des mariés qui dormaient dans la chambre située juste au dessus de la mienne m’ont empeché de dormir durant toute la nuit, puis des gémissements ont commencé à se faire entendre du reste des chambres de l’hôtel, et petit à petit, des soupirs profonds ont percé de toutes les fenêtres. L’hôtel tout entier était enveloppé d’une tempête d’amour, et les voix des penchants troubles jaillissaient de tous les côtés. L’hôtel était comme un bateau ivre sur une mer houleuse et agitée. La chambre des mariés, située au dessus de la mienne, était la chambre habituelle de Jean qu’il laissait aux couples, pour leur nuit de noce. C’etait la chambre la plus belle de ce simple hôtel. Elle était spacieuse, munie d’un grand lit à baldaquin de couleur or, d’un salon richement meublé, ainsi que de larges toilettes avec une grande baignoire de porcelaine et une robinetterie dorée. Le comble du destin était que plusieurs fois par semaine Jean était obligé de laisser son lit à un jeune couple pour la nuit de leur premier amour agité alors qu’il dormait dans la chambre voisine écoutant les voix, il revenait ensuite le lendemain dormir dans ce même lit qui la nuit précédente s’était noyé dans une mer d’amour et qui planait dans un nuage de rêves exaucés.
Lorsque je suis revenu après plusieurs années, je l’ai trouvé toujours au même hôtel, dans la même chambre, attendant toujours son amour, bien qu’elle se soit déjà marié avec des enfants. Il était toujours invité, dormait toujours dans la même chambre des mariés, allongé seul sur le même lit, sur lequel Aïcha, son amour, et son mari se sont unis, alors que dans la chambre voisine il écoutait ses gemissement.
Le soir il passait devant la maison de son amour entendre sa voix ou voir sa silhouette par la fenêtre. Parfois il entrait boire une tasse de thé. Il se lia d’amitié avec son mari et ses enfants, c’est ainsi qu’il devint en quelque sorte un proche de la famille qui les soutient par son argent et ses conseils.
Lors d’une de mes dernières visites, je ne l’ai plus revu à l’hôtel, et c’est ainsi que Driss le chef de réception m’annonca tristement qu’il était décédé il y a quelques années. Il m’indiqua où se situait sa tombe. Lorsque j’y arrivai je trouvai un grand caveau avec de jeunes et vieilles femmes l’entourant de prières et de chants, tout en jettant dans l’antre d’un feu des bougies. On m’a demandé si je cherchais une femme, car le sage répondait aussi aux prières des hommes. Des centaines de couples s’étaient déjà mariés grâce à lui. J’ai moi aussi allumé deux bougies que j’ai jetées au milieu de feu en son souvenir.












Gabriel Bensimhon
Tel Aviv University
Department of Cinema and T.V.
11, Itzhak Sade St. Zichron Yaakov 30900 Israel
I
bensimon@post.tau.ac.il

























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