יום שישי, 28 במרץ 2008

L’homme qui revint

L’homme qui revint
(Eragel di Rgeh)

Par: Gabriel Bensimhon

Ayouch était un boucher connu à Sefrou. Grand, robuste, rapide et efficace, il était surtout silencieux. Toujours le kief à la bouche et la hache à la main. Ses coups sont secs, précis, tranchants et il travaille toujours plongé dans la fumée.
Dans le village où tout le monde connaît tout sur tout le monde, personne ne savait ce que pensait Ayouch.
Sa femme était d’une beauté exceptionnelle. Ces lèvres roses, toujours souriantes et prêtes à bavarder, c’était une femme venant de famille pauvre. Elles étaient huit soeurs, la plupart d’entre elles n’étaient pas très jolies et pas vraiment réussies. L’une begayait, l’autre boitait, une autre était chauve et pourtant, elle sortit comme par miracle, une pomme parfaite sans défaut, la peau blanche et laiteuse, la chevelure noire abondante, de grands yeux verts, un nez discret, une large bouche pure de tout peché et un corps féminin, magnifiquement élancé. Bashir, le fils du Pacha, était tombé amoureux de ses yeux verts. Un beau jeune homme, excellent joueur de luth, chanteur, qui aimait les habitants du Mellah et faisait parti d’un de leurs groupes de joueurs de luth prenant plaisir à leurs fêtes et au regard qu’il pouvait jeter dans les maisons traditionnelles des Juifs, habituellement fermées aux étrangers, car bien que les maisons fussent délabrées et pauvres d’exterieur, celui qui cependant ne les avait vues de l’intérieur n’avait jamais vu de sa vie de palais. Lors des mariages en particulier, toute cette richesse était exposée au public, des ustensiles en or, les vêtements de velours, les tapis, les plats et les boissons, mais surtout les femmes juives, jeunes, mûres et joyeuses possédant l’art du chant et de la danse mangeant avec les hommes et buvant avec eux, touchant et pinçant. A ce même moment, le feu des penchants électrise l’atmosphère et dans l’obscurité, sous les couvertures, derrière les portes et les cloisons, la moitié de la ville couche en communion avec les mariés.
Il aimait cette joie éternelle dans laquelle un jour, son œil s’accrocha aux yeux verts de Messaouda, la femme de Ayouch et il commença à lui chanter des chants sous sa fenêtre: “ Ya Messaouda, ya lein lhdra”… toute la ville reprenait avec avidité cette merveilleuse chanson d’amour. On la chantait aussi dans les mariages afin d’exprimer la douleur de l’amour sans issue du fils du Pacha, aimant et faisant la cour avec détermination mais qui n’osait s’en approcher, et elle, ne savait que faire de son amour.
Personne ne savait ce qu’il se passait dans l’esprit du boucher Ayouch. Seule la fumée du hashish s’épaissisait autour de lui, seul un lourd silence et ses coups de hache dans la viande étaient plus secs et rapides que jamais. Des rumeurs se propagèrent à propos de secrètes rencontres entre l’amoureux musulman et la fille juive, cependant, elles ne furent jamais prouvées et au bout du compte que pouvait faire un pauvre boucher tel que Ayouch face au fils du Pacha.
“Yehuda Halevy” le premier bateau d’immigrants en Afrique du Nord, vint juste à temps mettre fin à cette histoire complexe. Cependant plus le bateau s’éloignait, plus les sons de la luth s’intensifiaient aux oreilles de Messaouda. Les vagues portaient les melodies langoureuses. Une douce chaleur venue de loin transportant la voix de Bashir coulait vers elle, mais lorsqu’elle se releva et regarda la mer, elle ne vit que la couleur cuivrée sous la côte; le fils du Pacha bien au loin, là-bas, et elle à présent entourée uniquement de la mer avec son regard courroucé et son mari Ayouch. Elle est entre ses mains mais ses yeux sont rivés vers l’horizon, elle s’éteint peu à peu et s’enfonce dans un triste silence.
Lorsqu’il ouvrit une boucherie au marché de Ramleh, Ayouch continua d’abattre ses coups de haches terrifiants sur les vaches israéliennes, le même écran de fumée autour de lui, le même silence, la même insensibilité muette, comme un cadavre entre eux, comme si le fils du Pacha l’appelait de son luth afin qu’elle rentre au pays: “Ya Messaouda, ya lein lhdra…” et lui ce même Ayouch entendait les voix des sirènes obscures et n’avait d’autres choix que de leur obéir.
Et un jour, sans autres préparatifs, il boucla ses valises et lui annonça: “on rentre à Sefrou”. Elle se mit de suite sur pied, énergique et vitale comme auparavant, ses yeux éteints se rallumèrent, son visage livide devint étincelant. Vraiment?! Est ce possible?!
Ils arrivèrent à Sefrou avant qu’elle ne se vide de sa judaicité. Ils réussissent à retrouver leur maison dans la ruelle des bains telle qu’ils l’avaient laissée. Même la boucherie sur la place Rhiba les attendaient, la femme se rétablit, revint et couru dans les rues, faisait des commérages avec les voisines, son nom montait sur toutes les lèvres et les sons du luth de Bashir, fils du Pacha, résonnaient à nouveau dans l’obscurité des ruelles. Lorsqu’il faisait un tour sous la fenêtre du deuxième étage, elle le regardait d’en haut et respirait – elle prise en elle par la force et l’amour lui rend des regards magiques et affectueux. Ayouch revient et s’installe derrière le comptoir, avec un long kief à la bouche, sa hache de boucher pleine de sang entre les mains, assène ses coups, coupe la viande crue. A présent, à la place des vaches, il achète des taureaux. Comme à son habitude, comme tous les bouchers il attache le taureau dans l’étable située à côté de l’ablutoire, jusqu’à ce qu’arrive son tour de l’abattre.
Dernièrement, il acheta un taureau particulièrement énorme, un véritable animal antique pour lequel il éprouvait une grande affection. Beaucoup de taureaux étaient venus après lui mais furent abattus avant lui. Lui, il l’engraissait et le soignait. Un lien particulier s’est créé entre eux. Lorsqu’il arrivait à l’étable choisir son bétail pour l’abattage, il passait à côté du taureau, le caressait, lui prêtait oreille, lui caressait les énormes cornes, lui embrassait son étoile blanche sur le front. Mais ce sont des faits qui n’ont été rapportés par les gens qu’après coup.
Et ainsi un jour, incroyable, le taureau de Ayouch défit ses liens, enfonça l’étable, fonça de tout son poids à travers les ruelles, heurta tout ce qui se tenait sur son chemin dans une folie démentielle et une colère terrible, comme si cela c’était accumulé pendant des années passa devant la mosquée, rentra par les portes du Mellah, passa à côté de la synagogue, traversa l’esplanade sous les yeux de Ayouch qui essayait d’attirer son attention, mais le taureau ne répondait pas à ces appels, il fit fuir les femmes affolees qui venaitent de sortir du Hammam, laissa stupéfaits les fidèles de “Sla d’lhaham”, poussa à l’interieur les enfants de l’école qui s’étaient lancés dehors, au son de la terrible cavalcade. La rumeur passa de toit en toit, de fenêtre en fenêtre comme quoi le taureau gigantesque et terrible de Ayouch, animal antique écrase tout sur son passage et détruit la ville. Les murs des maisons tremblaient, la poussière tombait des plafonds comme dans un tremblement de terre. La maison d’hôtes se ferma de l’intérieur, les cordonniers fermèrent les portes de leurs magasins, les gens se cachèrent dans leurs maisons, le Mellah se vida entièrement, et lui, resta seul soufflant, marchant à pas lourds de tout son poids, rapide comme le vent, la tête un peu courbée, ses deux cornes pointées vers l’avant, jusqu’à ce qu’il arrive à la rue de la maison d’Ayouch ou se tenait le fils du Pacha, jouant du luth à la femme aux yeux verts d’Ayouch qui elle lui renvoyait de grand sourires. Le taureau rentra dans le fils du Pacha comme la hache du boucher trancha son corps, le souleva d’un puissant élan vers le haut à la hauteur de la fenêtre de la femme, et son luth trempé de sang tomba dans ses mains jouant en l’air le chant d’amour du défunt. Les habitants de la rue qui avaient fui dans leurs maison s’attroupèrent autour du cadavre pour découvrir que ce n’était autre que le fils du Pacha, le musicien et que le taureau qui l’avait attaqué n’était autre que celui d’Ayouch, l’homme qui était revenu. A présent Ayouch n’avait pas d’autre choix que de s’enfuir rapidement de la ville, il prit sa femme, le luth, taché de sang à la main et s’en retourna à Ramleh à la maison et la boucherie où il coupe encore à la hache la viande crue. Ses coups secs et tranchants, la fumée du kief l’enveloppe et personne ne sait ce qu’il pense. Sa femme Messaouda brandit elle aussi sa hache de boucher, elle découpe avec rapidité et dextérité la viande, et de temps à autres lorsque le vent joue sur les cordes du luth pendu à côté de la fenêtre, elle entend la voix du fils du Pacha lui chanter les chants de son amour “ Ya Messaouda, ya lein lhdra






Tous droits reserves
Prof. Gabriel Bensimhon
L’Universite de Tel Aviv
11, rue Itzhk SadeZichron Yaakov 30900, Israel
Blog : http://moledetzesex.blogspot.com/
Origine: Marchant sur les eaux
Hakibbutz Hammeuchad Editions
Yediot Ahronot Books& hemed Books, 1997

Etait traduite en arabe (Eragel di Rgeh) par Prof. Mohamed Elmedlaoui
Et paru a “Asshiyfa” (hebdomadaire Marocain) no 91

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